La phénoménologie : l’observation sans jugement, et l’intentionnalité
Il ne s’agit pas d’observer l’expérience intérieure subjective d’une personne, comme en psychanalyse , mais plutôt comment elle vit et expérimente sa vie, à partir de l’expérience vécue. Celle-ci «… se passe à la frontière entre un organisme et un environnement, uniquement dans ‘l’ici et maintenant’. Tout est là. Il faut juste prendre le temps de le voir. » (Perls L. (2001). Pour « prendre le temps de le voir », il semble évident de changer son mode d’observation, et la phénoménologie nous invite à ralentir, pour explorer et découvrir ce qui peut se cacher derrière la motivation des choix ou l’absence de choix, et pour réévaluer leur pertinence. Que se passe-t-il dans le corps, dans le cœur, dans l’esprit ? Pour Finlay (2011), « la phénoménologie commence en silence. Se précipiter vers des descriptions avant de s’assurer de l’objet ou de la situation à décrire semble être le piège principal de la phénoménologie ». Avec un pas de plus dans la thérapie, « C’est le propre de l’être humain de donner un sens aux phénomènes en fonction du développement de son psychisme, de son histoire » (Resnick, 2017).
L’existentialisme : l’être humain est libre et responsable de ses choix
L’existentialisme appartient à la catégorie de philosophie qui cherche à penser et comprendre l’être humain, dans un mouvement ascendant, c’est-à-dire en partant de son existence dans le monde comme « être-jeté dans le monde », concept de Heidegger, par opposition à l’étude de l’existence humaine, dans un mouvement cette fois descendant, en partant des concepts du monde, comme dans la philosophie orientale, ou d’un principe extérieur ou transcendant, parfois nommé Dieu, comme dans les religions occidentales. « Face à cette situation, cette vie est sans orientation a priori, sans sens, uniquement délimitée par la naissance et la mort. Ce qui est source d’inconfort extrême : l’angoisse existentielle ».(Béjà, 2003). A la suite de ce courant philosophique, dans une perspective de Gestalt contemporaine, Salathé (1998) a répertorié les cinq contraintes existentielles qui conditionnent nos choix, dans la mesure où nous ne pouvons pas choisir ces mêmes contraintes :
– La Responsabilité et la Liberté : la porte d’accès aux choix
« Etre responsable, c’est être l’auteur incontesté d’un événement ou d’une chose, disait Sartre dans l’Etre et le Néant. La conscience de sa responsabilité est la conscience de la création de soi, de son destin, de ses souffrances, de ses émotions et de ses sentiments. C’est aussi la conscience de sa liberté : liberté de créer sa propre vie, de désirer, d’agir, liberté de changer. Ici, liberté ne s’entend pas dans un sens totalement anarchique et absolutiste, mais limitée. Car dans toute situation, il est toujours possible de faire au moins un autre choix. Sous sa forme minimaliste, c’est cela la liberté. La liberté engage notre responsabilité. Et c’est du fait de notre responsabilité que nous sommes angoissés ». « Nous sommes aussi responsables de nos actions, et de ce que nous ne faisons pas » (Salathé-1998, citant Yalom). Si je choisis ma vie, suis-je prêt à en assumer les conséquences ? Et si je choisis de ne pas choisir, est-ce que je me décharge de cette responsabilité ? Salathé précise qu’en Gestalt-thérapie, « c’est lorsque la personne a pris conscience du fait de sa responsabilité qu’elle réalise que c’est elle qui est l’artisan de sa situation ; se pose alors la question de la mise en œuvre de cette responsabilité. ». Pour, « au final, prendre la responsabilité de ce que l’on est » (Petit, 1984)
- Le premier facteur pour cette mise en œuvre est, selon les auteurs, la volonté ou le désir . Il cite Rank qui pense que le désir passe par trois phases :
- Volonté contraire : opposition à la volonté de l’autre (comme au stade du « non » dans l’enfance, pour se différencier)
- Volonté positive : vouloir ce que l’on doit (ce qui est attendu, par les traditions par exemple)
- Autonomie et responsabilité : vouloir ce que l’on veut
- Le second facteur est la métamorphose du désir en choix, en décision.
« Entre la volonté et l’action : c’est là que se situe le choix ». Toujours selon Salathé, « le but de la thérapie est de débloquer les deux premiers types de volonté pour les transformer en volonté créative. Par l’identification du désir (l’awareness), nous nous projetons dans l’avenir. Cette projection marque les premières étapes du cycle de contact : la fonction Ça, qui se charge de signification, d’émotion : je désire quelque chose, une relation avec telle personne, etc... ».
– La Quête de sens (de la vie) et l’Absurde : liberté de choix et raison de vivre
Pour certains philosophes chrétiens, c’est l’absence de Dieu qui retire à l’homme tout espoir et le condamne à vivre de manière absurde. Or, si Sartre assume l’athéisme de sa pensée, il ne concède pas que sa philosophie soit exempte de valeurs. Pour lui, l’homme est le créateur de ses propres valeurs et l’idée d’un existentialisme chrétien (comme chez Jaspers, Kierkegaard, ou Pascal) est incohérente : « si Dieu est, alors l’existence de l’homme n’est plus contingente (existence qui peut ne pas avoir existé), elle devient nécessaire puisque l’essence précède dès lors l’existence ». L’athéisme de Sartre est une exigence pour aller jusqu’au bout de la solitude de l’homme et sa responsabilité totale.
Viktor Frankl, médecin psychiatre, contemporain de Perls, et fondateur de la logothérapie, a observé le comportement humain au cours de ses trois années vécues dans les camps de concentration, et questionné sa capacité à exercer sa liberté de choix dans un environnement particulièrement hostile. Ses conclusions, uniquement basées sur ses expériences vécues, montrent que « même brutalisé physiquement et moralement, l’homme peut préserver sa liberté spirituelle et son indépendance d’esprit ». (Frankl, 2018). Citant Nietzche, « Celui qui a un ‘pourquoi’ qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel ‘comment’ », il montre comment les prisonniers qui avaient trouvé un sens à leur vie, ou avaient un but à poursuivre après la détention, supportaient plus facilement leur existence dans les camps, jusqu’à survivre.
L’homme bute contre la limite du temps qui passe et le confronte à la fin de toute chose, fin de relations d’amitié ou de couple, à sa propre mort : c’est la finitude. Il ne peut pas tout vivre, tout faire, il doit faire des choix. Comment oriente-t-il ses choix face à cette contrainte ? Quels mécanismes met-il en place pour atténuer cette angoisse ?
- La Solitude, l’Isolement Existentiel
Salathé (1998) cite Yalom qui distingue trois types de solitude :
« La solitude intra personnelle », où « l’être humain se coupe de certaines parties de lui-même, de certaines expériences ». C’est le vide intérieur qui est parfois ressenti, même en présence d’autres personnes ou lorsque l’on dépend de ce que les autres pensent.
« La solitude interpersonnelle » : qui correspond à la difficulté relationnelle, ou le sentiment d’être isolé des autres, avec des facteurs tels que manque d’aisance sociale, isolement géographique, malaise dans l’intimité, perturbation de la personnalité (narcissisme, schizoïdie,) déclin des institutions (famille, voisins, église, etc…)
« La solitude existentielle » : malgré une certaine intégration sociale, c’est « l’isolement éprouvé tout particulièrement en relation avec l’expérience de la mort et avec celle de la liberté ». C’est la possible angoisse dans la solitude face à la responsabilité de sa propre vie, et donc de ses propres choix, et avec la capacité ou pas d’en mesurer les risques. Il s’agira en Gestalt-thérapie, d’observer les mécanismes mis en place par l’être humain pour affronter ou éviter cette solitude et d’orienter le travail vers la construction de l’intériorité qui n’a pas pu être développée dans ses différentes étapes de développement
- La Limitation, l’Imperfection
Toujours selon Salathé (1998), l’imperfection vient « nuancer le pouvoir individuel : personne ne peut tout faire et le faire parfaitement ». En effet, l’être humain a ses propres limites, « réelles ou imaginaires », et le monde présente des imperfections auxquelles nous sommes exposés : « injustice, misère, inégalité des chances, etc… ». Face à ces circonstances, plusieurs sentiments ou réactions sont possibles, notamment « la culpabilité, la dévalorisation, et l’angoisse , qui se manifestent sous forme d’évitement, par exemple le refus de choisir, l’incapacité totale de décision et l’immobilisme, souvent très douloureux ». D’autres mécanismes de déni ou d’évitement de l’angoisse de l’imperfection sont possibles (Annexe 1). Il fait également le lien avec les exigences sévères et reproches reçus dans l’enfance et les limites que se pose l’individu devenu adulte, en recherche de perfection.
Suite à l’article « Les origines de la Gestalt-thérapie 2/2 »